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9 octobre 2016 7 09 /10 /octobre /2016 21:11

L'Amérique des années 1950. Coupée en deux : celle des Noirs, et celle des Blancs. Séparés. Bus, toilettes, restaurants, hôtels... Racisme et violence institutionnalisés (les lois Jim Crow distinguent les citoyens selon leur appartenance "raciale". L'Amérique de la ségrégation, à la veille de la lutte pour les droits civiques. Voilà pour le décor.

Frank est américain, noir, originaire de Lotus, une petite ville de Géorgie, "le pire endroit du monde, pire que n'importe quel champ de bataille". Il grandit dans une famille pauvre (même s'il s'appelle Frank Money). Les parents n'ont pas le temps de s'occuper des enfants, cumulant travail dans les champs de coton, chez les planteurs de la région, et ménages pour la mère. Seules lueurs de son enfance : une petite sœur, qu'il protège de sa grand-mère malveillante, et ses copains, avec qui il tente d'oublier l'ennui du quotidien. Frank veut partir de cet endroit "qui ressemble à aucun endroit où vous voudriez être."

Enrôlé dans la guerre de Corée, Frank rentre fracassé, pétri d'angoisses qu'il ne réussit à calmer qu'en buvant jusqu'à l'inconscience, avec pour seule ambition de "rester en vie". Poursuivi par "la rage incontrôlable, la haine de soi déguisée en faute de quelqu'un d'autre", rien ni personne, pas même sa fiancée, ne parvient à apaiser ses cauchemars. Jusqu'à ce qu'un appel au secours de sa sœur le jette sur les routes du pays.

Toni Morrison tisse des liens étroits entre les tressaillements de l'âme de son personnage et le monde qu'il habite et qu'il traverse. "Road roman" à travers l'Amérique des années 1950, qui brosse un portrait du pays effarant (racisme -des guides répertorient les restaurants et hôtels où les Noirs ont le droit de mettre les pieds- maccarthysme, eugénisme…), "Home" est aussi un voyage intérieur, le chemin d'un homme vers lui-même, pour accepter ce qu'il est et d'où il vient, anéantir ses démons et devenir un homme. C'est en rentrant chez lui, dans cette ville qu'il voulait tant quitter, dans une communauté humaine simple mais soudée, que Frank trouve enfin la paix. "Home", contient tout cela : la maison, les racines, l'âme.

De très beaux personnages, portraits de femmes aspirant à la liberté, habitent "Home". Lily, la petite amie de Frank veut maîtriser sa vie. Figure féminine enveloppante et moelleuse, à laquelle Frank s'accroche, pour tenter de sauver sa peau. "Elle avait quelque chose qui m'a stupéfait, qui m'a donné envie d'être assez bien pour elle". La trêve est de courte durée. Lily ne peut pas soigner Frank des démons  qui le hantent (la honte et la culpabilité). Lily le laisse partir, et choisit de vivre sa vie.

 "Home" pose la question fondamentale de la condition humaine, explore la soumission sous toutes ses formes, et surtout,  la possibilité pour chacun d'en sortir et de (re)trouver sa dignité. Question exprimée par la voix d'un enfant rencontré par Frank au début de son  périple : "Quel métier tu veux faire quand tu seras grand ? Réponse : "homme".

Paris - 2016

Paris - 2016

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