Récit d’un état d’instrumentalisation des femmes vulnérables aux États-Unis et d’une oligarchie méprisante russe dans nos sociétés contemporaines, Anora met à l’honneur une actrice talentueuse au service d’un scénario réservé.
Critique : Elle s’appelle Anora, mais tout le monde l’appelle Ani. Cette jeune femme est magnifique : elle comprend le russe sans le parler et exerce dans une boîte de nuit où elle est payée pour faire consommer les hommes et les exciter. Tout le monde l’aime cette Ani, parce qu’elle est belle, lumineuse et enjouée. Jusqu’au jour où elle tombe sur un jeune homme, un Russe, gâté jusqu’aux ongles, qui dépense cent dollars comme on met un euro dans son caddie pour faire les courses. Il habite une maison somptueuse, en front de mer, propriété de ses parents, des nouveaux riches russes ; il organise des fêtes où l’alcool et l’argent coulent à flot, réserve des suites dans des hôtels de luxe, et regarde le monde du haut de ses vingt-et-un ans, là où il n’en paraît à peine plus que quatorze.
Anora parle de la prostitution légale aux États-Unis, à travers la figure de ce qu’on appelle les call-girls. Elles travaillent pour des clubs, ne pratiquent pas vraiment une sexualité complète, encourageant les clients à consommer et leur donner des billets pour l’excitation qu’elles leur procurent. Ani fait partie de ces femmes silencieuses, dominées, qui abiment leur jeunesse dans des activités nocturnes où elles perdent à chaque fois un peu de leur intégrité physique mais surtout de leur capacité à se penser autrement demain. Ce gamin russe qui débarque dans la vie d’Anora est une aubaine pour elle : il représente le luxe, l’argent facile, tout ce dont elle rêve sans vraiment se l’avouer. Elle se laisse embarquer telle une princesse moderne à Las Vegas où elle cède aux sirènes d’un mariage, arrangé en deux temps trois mouvements dans une chapelle conçue pour ce faire. Ce mariage impulsif, plus proche du caprice de ce jeune Ivan que d’une réalité, ouvre alors le drame, les parents étant prêts à tout pour le faire annuler.
Sean Baker offre une représentation consternante d’une certaine jeunesse américaine. Il crée un cinéma m’as-tu vu, finalement très consensuel, où les stéréotypes s’enlisent dans une fiction très mince. On assiste pendant près de deux heures à quasiment une succession de scènes désinvoltes, sans intérêt, montrant une Amérique au bord de la défaillance qui ne parvient plus à exister autrement que dans le paraître et le bruit. Une partie du long-métrage se focalise sur la recherche de ce jeune Ivan dont on cherche à annuler le mariage. Le spectateur assiste alors à des scènes de quasi-torture contre la pauvre Anora et à un long voyage dans un univers interlope où le jeune homme pourrait s’y trouver.
En réalité, le vrai intérêt du film se situe dans le dernier quart d’heure, où enfin Sean Baker révèle la personnalité profonde d’Anora : une femme digne, pétrie de valeurs, et d’une force inouïe. Anora génère une véritable frustration parce qu’il faut attendre la toute fin pour découvrir un personnage intègre, magnifique, qui redore soudain le blason de ces femmes qui se soumettent à la prostitution ou à l’argent facile.
Anora de Sean Baker | l'actualité du cinéma par les Cahiers
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