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21 septembre 2017 4 21 /09 /septembre /2017 08:22

Oui, Athènes restait  belle, et je ne regrettais pas d’avoir imposé ma vie à des disciples grecs. Tout ce qui en nous est humain, ordonné, et lucide nous vient d’elle. Mais il m’arrivait de me dire que le sérieux un peu lourd de Rome, son sens de la continuité, son goût du concret, avaient été nécessaire pour transformer en réalité ce qui restait en Grèce qu’une admirable vue de l’esprit, un bel élan de l’âme. Platon avait écrit La République et glorifié l’idée du Juste, mais c’est nous qui, instruits par nos propres erreurs, nous efforcions de faire de l’Etat une machine apte à servir les hommes, et risquant le moins de les broyer. Le mot philanthropie est grec, mais c’est le légiste Salvius Julianus et moi qui travaillons à modifier la misérable condition de l’esclave. L’assiduité, la prévoyance, l’application au détail corrigeant l’audace des vues d’ensemble avaient été pour moi des vertus apprises à Rome. Tout au fond de moi-même, il m’arrivait aussi de retrouver les grands paysages mélancoliques de Virgile et ses crépuscules voilés de larmes ; je m’enfonçais plus loin encore ; je rencontrais la brulante tristesse de l’Espagne et sa violence aride ; je songeais aux gouttes de sang celte, ibère, punique peut-être qui avaient du s’infiltrer dans les veines des colons romains du Municipe d’Italica ; je me souvenais que mon père avait été surnommé l’Africain. La Grèce m’avait aidé à évaluer ces éléments, qui n’étaient pas grecs. Il en allait de même d’Antinoüs ; j’avais fait de lui l’image même de ce pays passionné de beauté ; s’en serait peut-être le dernier Dieu. Et pourtant, la Perse raffinée et la Thrace sauvage s’étaient alliées en Bithynie aux bergers de l’Arcadie antique : ce profil légèrement arqué rappelait celui des pages d’Osroès, ce large visage aux pommettes saillantes était celui des cavaliers Thraces qui galopent sur les bords du Bosphore, et qui éclatent le soir en chants rauques et tristes. (…)

Marguerite Yourcenar, est née en Belgique puis est devenue citoyenne américaine et vivait sur une île du côté de Boston. Elle était membre de l’Académie Française. Elle écrit au sujet de ce livre : « Les dieux n’étant plus, et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été. » « Une grande partie de ma vie allait se passer à essayer de définir, puis à peindre, cet homme seul et d’ailleurs relié à tout. ».

« En 1937, durant un premier séjour aux Etats-Unis, je fis pour ce livre quelques lectures à la bibliothèque de l’université de Yale ; j’écrivis la visite au médecin, et le passage sur l’exercice du renoncement aux exercices du corps. »

« Vers 1941, j’avais découvert par hasard, chez un marchand de couleurs à New York, quatre gravures de Piranèse, que G. et moi achetâmes. L’une d’elles, une vue de la Villa d’Hadrien, qui m’était restée inconnue jusque là, figure la Chapelle de Canope, d’où furent tirées au 17ème siècle l’Antinoüs de style Egyptien et les autres statues de prêtresses en basalte qu’on voit aujourd’hui au Vatican. »

« Impossibilité aussi de prendre pour figure centrale un personnage féminin, de prendre Plotine au lieu d’Hadrien. La vie des femmes est trop limitée ou trop secrète. Qu’une femme se raconte et le premier reproche qu’on lui fera est de n’être plus femme. Il est déjà assez difficile de mettre quelque vérité à l’intérieur d’une bouche d’homme. »

Grèce ancienne antique

Grèce ancienne antique

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